Accueillir la parole d’un(e) rescapé(e) en classe

Accueillir la parole d’un(e) rescapé(e) en classe

Lorsque nous abordons en classe la question des génocides, nous souhaitons parfois faire intervenir un(e) rescapé(e) auprès des élèves. Ce témoignage, d’une valeur indéniable, n’est pas sans conséquences pour les élèves, les professeurs mais aussi pour le témoin lui-même. Alors comment accueillir sa parole ? Une classe de seconde professionnelle a participé pendant un an à un projet de recherche-action consacré au génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda. Un projet porté par la Ligue de l’enseignement et Ibuka France.

Vingt-quatre enseignants répartis dans onze établissements scolaires se sont portés volontaires pour participer à un projet de recherche-action consacré au génocide des Tutsi du Rwanda. Ce projet qui s’est déroulé pendant une année scolaire entière a été conjointement mené par la Ligue de l’enseignement et l’association Ibuka France. Chaque établissement a alors été associé à une ou à un rescapé(e) du génocide des Tutsi du Rwanda afin de l’accueillir, en classe, au cours de l’année. A l’issu du témoignage, les classes engagées ont réalisé des productions artistiques afin de restituer des moments clés et, à défaut de mettre des mots sur les émotions ressenties, trouver des formes d’expressions leur permettant d’extérioriser ce qu’ils avaient reçus. De plus, les rescapés, les élèves et les enseignants ont bénéficié de l’accompagnement d’une psychologue. Cet accompagnement avait pour objectif de comprendre l’impact que le témoignage a eu sur chacun d’entre eux.

En amont de l’intervention en classe, une première rencontre entre les professeurs, la/le rescapé(e), la psychologue et la coordinatrice du projet a été organisée au sein de l’établissement. Elle a permis d’échanger sur l’organisation générale du projet, de présenter l’établissement, de présenter la/les classe(s) concernée(s) mais, au-delà, elle a surtout fait émerger des questions centrales pour accueillir au mieux la parole du rescapé. Quelle salle utiliserions-nous ? Comment les élèves seraient placés dans la salle par rapport au témoin ? Combien d’élèves seraient présents dans la même salle ? Les photos et l’enregistrement vidéo seraient-ils autorisés ? Combien de témoignages auraient lieu dans la même journée ? A quel moment de la journée ? Le témoin souhaiterait-t-il avoir des questions de la part des élèves dès le début de l’intervention ou après son récit ? S’agirait-il d’un dialogue ou d’un récit ? Autant de questions autour desquelles les échanges entre le rescapé et l’équipe pédagogique se révèlent nécessaires.

Avant, pendant et après le témoignage

La classe de 2TRPMCV composée de quinze élèves de la filière « Technicien en Réalisation de Produits Mécaniques » et de quinze élèves de la filière « Artisanat et Métier d’Art Communication Visuelle » du lycée Louis Modeste Leroy, à Evreux, a donc participé à ce projet de recherche-action. Après une présentation générale, les séances, à raison d’une heure par semaine, ont été consacrées à l’Histoire du Rwanda [1]. Il s’agissait d’amener progressivement les élèves à comprendre les mécanismes qui ont entraîné le génocide des Tutsi du Rwanda, en 1994. C’est lors de ces séances que les élèves ont réalisé le nuage de mots ci-dessous.

Afin de compléter leur compréhension du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda, les élèves de 2TRPMCV ont assisté à la représentation d’une pièce de théâtre, de la compagnie Uz et Coutumes, intitulée Tout dépend du nombre de vaches. De plus, une séance a également été consacrée à la préparation de l’accueil du témoin et de sa parole (posture, disposition de la salle, rédaction de questions).

Pendant le témoignage qui a été filmé pour les besoins de la recherche, les élèves de la filière AMACV (Métiers d’art, communications visuelle) ont été invités à dessiner des passages de ce qu’ils étaient en train d’entendre. Chaque élève de AMACV était associé à un élève de TRPM. Chacun de ces binômes avait également pour mission de relever un moment, une action qui les a particulièrement marqués. A la fin des échanges, les élèves ont pu montrer au témoin des croquis qu’ils avaient réalisés lors des séances de préparation en classe. Ces dessins avaient été effectués pendant l’écoute d’un passage du livre de Beata Umubyeyi Mairesse, Ejo. Il s’agissait de la première séance du projet. L’objectif était de leur donner à entendre le Rwanda et qu’ils se fassent leurs propres représentations (sans leur montrer de photographies).

Après le témoignage, les élèves ont travaillé à la réalisation de différentes œuvres artistiques : la calligraphie pour le nuage de mots, différents croquis, des Unes de magazine et la restitution de moments clés dans des boîtes en bois. Certains éléments présents dans ces boîtes ont été réalisés avec une imprimante 3D.

Les élèves ont finalement présenté leurs réalisations lors d’un vernissage organisé au

lycée en présence des familles, des enseignants, du témoin, de la psychologue et de la coordinatrice du projet.

Enseigner - témoigner

Ce projet de recherche-action consacré au génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda a permis, in fine, la création d’un site internet [2]destiné à donner des clés aux enseignants souhaitant accueillir un témoin en classe [3]. Une large réflexion a également été menée sur les conséquences d’un témoignage en milieu scolaire. Les conséquences pour les élèves et les enseignants mais aussi pour le témoin lui-même. Pour bon nombre d’entre eux partager leur histoire est essentielle mais cela représente, souvent, un moment douloureux, et même des moments douloureux plusieurs jours avant et après le témoignage puisqu’il s’agit de raviver de terribles souvenirs. Pour les lycéens, la confrontation avec cette difficile réalité peut également générer des bouleversements. Mais, le témoignage direct représente aussi une ouverture sur l’autre, une compréhension de sa souffrance, une autre façon de faire de l’Histoire ainsi qu’un enrichissement intellectuel et moral, tout en étant accompagnés.

Emilie Dumanoir